Je me souviens encore de l’odeur de cire et de lavande. J’avais six ans, peut-être sept. Dans le village où j’ai grandi en Champagne, j’accompagnais ma grand-mère lorsqu’elle allait veiller les mourants. Elle n’était ni infirmière, ni religieuse. Mais on l’appelait quand “c’était le moment”. Elle arrivait avec ses mains chaudes, ses silences pleins, sa façon de parler au corps qui s’en va comme à un vieil ami. Je restais là, les jambes qui ne touchaient pas le sol, observant. Sans le savoir, c’était ma première école : celle de la fin de vie, vécue dans la douceur et le respect.
Depuis, la mort ne m’a jamais quittée. Je ne parle pas ici de noirceur, mais de présence. J’ai travaillé avec Elisabeth Kübler-Ross à Paris dans les années 80. J’ai animé des groupes pour les jeunes malades du sida, j’ai veillé des femmes, des hommes, des enfants. J’ai fait du bénévolat en soins palliatifs, répondu à des demandes impossibles. “Aidez-moi à partir, je n’en peux plus.” Et je les regardais. Et je comprenais.
Je me suis souvent demandé : pourquoi n’avons-nous pas en France le droit de choisir notre fin ? En Espagne, pourtant pays très catholique, la loi autorise maintenant l’aide active à mourir, dans un cadre clair, encadré, respectueux. Et nous ? Nous continuons à tourner autour du pot, pendant que certains meurent seuls, dans la souffrance, ou voyagent en Suisse à prix d’or.
Je ne dis pas que c’est simple. La mort ne l’est jamais. Mais je dis qu’il est temps de regarder cette question en face, avec humanité.
Les raisons d’ouvrir ce droit
Ceux qui demandent à mourir ne le font jamais par légèreté. J’ai vu des personnes atteintes de la maladie de Charcot (SLA), enfermées dans un corps devenu prison. Ils me disaient : “Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme ça.” Et je les comprenais. Quand la douleur est devenue insupportable, quand la dignité s’efface, ne devrait-on pas avoir le droit de dire : “C’est assez” ?
Je crois profondément que la liberté de choisir sa fin de vie fait partie du respect que nous devons à chaque être humain. Ce n’est pas “jouer à Dieu”, c’est accompagner avec conscience.
Les précautions à ne pas oublier
Bien sûr, il y a des risques. J’en ai vu aussi. Des familles un peu pressées. Des regards qui disent : “Tu nous coûtes cher, tu es un poids.” Même si ces mots ne sont pas dits, ils planent. Il faut donc des garde-fous, une vraie éthique, un accompagnement solide.
Et il y a les croyances. J’ai grandi dans une culture marquée par le catholicisme. Je respecte la foi de chacun. Mais dans un pays laïque, peut-on vraiment imposer à tous une vision unique de la fin de vie ?
Mourir entouré, mourir vivant
Je veux vous raconter une histoire. Un petit garçon que j’ai accompagné chez lui, atteint d’un cancer en phase terminale. Il avait huit ans. La veille de sa mort, il a aligné tous ses nounours sur son lit. Chacun avait sa place, son nom, sa mission. C’était sa manière à lui de dire au revoir. Il est parti doucement, dans son lit, entouré d’amour.
Ce n’était pas une euthanasie. Mais c’était un choix. Le choix de mourir chez lui, pas à l’hôpital, pas branché à des machines. Cela aussi, c’est un droit précieux.
Aujourd’hui, j’ai 78 ans. J’ai survécu à une maladie auto-immune quand j’étais jeune (le syndrome de Guillain-Barré), j’ai été soignée à l’ashram de Pondichéry, j’ai appris à respirer, à méditer, à écouter. J’ai accompagné des centaines de personnes, des familles, des enfants, des mourants. Je peux vous dire une chose : il y a mille manières de mourir, mais une seule bonne — celle qu’on choisit avec lucidité et amour.
Je rêve d’un monde où la fin de vie serait accompagnée comme une naissance. Avec des rituels, des chants peut-être, du silence, du respect. Où l’on pourrait dire : “Je suis prête. Laissez-moi partir.” Et où cette phrase serait accueillie, non comme un crime, mais comme une ultime preuve de confiance.
Si ces mots vous touchent, si vous avez vécu ou accompagné des départs difficiles, je vous invite à découvrir mon livre “Ils nous ont tant aimés”. J’y raconte les liens profonds entre les humains et leurs animaux, et ce que leurs départs nous enseignent sur l’amour, la fidélité… et le deuil.
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